10 avril 2013

Je suis une Provinciale ou la Province expliquée aux Parisiens



Provincial : selon le Larousse
- Qui est de la province, qui appartient à la province : Il a reçu une éducation provinciale.
- Qui marque une gaucherie, un manque d'aisance qu'on attribue, par opposition à Paris, à la province : Il avait un air provincial et maladroit.

"Le grand avantage des provinciaux, c'est qu'après avoir admiré Paris, ils peuvent le quitter." 
Henri Rochefort

Je suis une Provinciale, avec un P majuscule. J'ai failli ne pas l'être, je suis née à Paris, mais mes parents ont rectifié le tir et vite pris la tangeante, fort heureusement. Sinon je ne parlerais pas avec mon bel accent du sud. J'ai juste eu le temps de faire mes premiers pas au Jardin des plantes, m'a-t-on dit.

J'ai le souvenir à l'école primaire de compléter des fiches pour chaque professeur à la rentrée des classes, et d'écrire consciensieusement "née à Paris le xx". Etonnement dans la classe. "Woaw tu es née à Paris ???" Surprise et admiration du public. Moi je n'en étais ni fière ni gênée, après tout Paris je ne la connaissais pas plus qu'eux. Ce lieu de naissance me laissait songeuse. Je savais que mes parents s'étaient connus dans la capitale, étant voisins ils s'étaient rencontrés dans le restaurant en bas de leur immeuble. Ils y avaient étudié, puis travaillé, s'y étaient aimés et m'avaient conçue, rue Saint-Maur. Tout cela faisait partie de la légende familiale.

Moi, mon horizon se limitait à ce que j'observais depuis les fenêtres de chez mon père, depuis cette vue panoramique dominant la basse-ville : très vite les maisons cédaient leur place aux champs de tournesols. End of the story. 

 

Cet horizon, je l'ai observé des heures et des dimanche durant. Mon frère était encore à l'âge où il jouait aux petits soldats. Mon père faisait sa traditionnelle sieste d'après manger. Moi je m'ennuyais ferme, je regardais par la fenêtre et me demandais ce qu'il y avait au-delà des champs, s'il y avait des villes où il passe davantage de voitures les dimanches après-midi. Parce qu'à Auch il n'en passait pas. Parfois je regardais la ville avec mon père à côté. Toujours intriguée par mon lieu de naissance, je lui demandais
- "Paris c'est grand comment ?"
- Il me répondait qu'"Auch est grand comme un arrondissement de Paris".
- Mais alors "Paris a combien d'arrondissements ?"
- "20". Stupeur, admiration. Une ville pouvait être 20 fois la mienne ! 
Etre Provinciale dans une petite ville, c'est cela, avoir le temps de s'ennuyer le dimanche et de rêver à d'autres contrées, à commencer par la capitale de son pays. C'est avoir l'imaginaire à bloc, et des projets de voyages déjà énoncés à 12 ans : "un jour j'irai à Paris".
Aurais-je eu autant envie/besoin de voyager si j'avais grandi entourée de monuments et musées, pris le métro, vu/connu des étrangers avant mes 18 ans, entendu des langues étrangères dans la rue ? Je ne le crois pas. Dans mon cas être une Provinciale m'a donné une formidable énergie d'aller voir ailleurs.

Mon rêve d'aller à Paris fut réalisé je ne sais plus trop en quelle année. J'ai pris l'avion toute seule (Air Inter !), avec des papiers au tour du cou d'"Enfant non accompagné". A Orly j'ai retrouvé ma tante et ma cousine, parisiennes, elles. A part la Tour Eiffel, je me souviens d'un seul autre moment, bien précis, 5 mn après les avoir retrouvées on s'est installé dans un café, on m'a demandé ce que je voulais, j'ai dit "un coca s'il vous plaît", ce à quoi le serveur m'a répondu : "ça s'entend que tu n'es pas d'ici toi !". J'ai donc compris très tôt que le Provincial du sud qui ouvre la bouche à Paris ne passe pas incognito.

Le Provincial de la petite ville a un avantage. Il grandit dans un environnement libre de toute segmentation sociale. Je m'explique. Le Provincial va au lycée de la ville. Point. Dans mon cas, il y avait un seul lycée d'enseignement général. Il n'existe pas de bon ou mauvais lycée. Il n'existe pas d'établissement réservé à une certaine élite. Il va au lycée avec tout le monde, le fils de médecin, le fils d'agriculteurs, le fils de militaire, le fils de mère célibataire, la fille de fonctionnaire (mon cas). Tout ce petit monde vit à tout près les uns des autres, parfois dans la même rue, à l'adolescence tout le monde ira dans les mêmes cafés, soit 2 ou 3 cafés au choix, et dans la seule boîte de nuit de la ville (soit La Nuit, si des Auscitains me lisent!). Ici la mixité sociale avait tous son sens. C'est seulement à 20 ans, en arrivant à Paris, que j'ai découvert qu'il y avait les lycées chics et les lycées réputés moins bons, les quartiers de la banlieue Ouest et ceux de la banlieue Nord, les Yvelines et la Seine Saint-Denis, les bars et restaurants des Invalides et ceux de Belleville, la rive gauche et la rive droite. Choc et déception. Moi je remercie le ciel d'avoir expérimenté une autre vie durant mes 20 premières années, d'avoir grandi dans un autre contexte, plus égalitaire, plus ouvert et moins compartimenté.

Le Provincial de la petite ville a une autre chance, celle de déguerpir de chez les parents dès 18 ans, après le Bac, pour aller à la fac. Il sera autonome plus vite et se sentira le roi du monde, pour peu qu'il n'ait qu'une chambre de bonne. Le Parisien lui, prix des loyers oblige, attendra la fin de ses études, voir quelques années de plus, pour prendre son envol.

Lorsque le Provincial débarque à Paname, il a 2 options : s'adapter ou rentrer au bled. Donc il s'adapte. L'inverse, Paris > province est beaucoup plus difficile. Il parviendra à se sentir chez lui et connaîtra, comme les étrangers et immigrés, la formidable sensation de se sentir d'ici et d'ailleurs et de posséder 2 chez soi.

Le Provincial souffrira du cliché du "benet", a fortiori s'il a un accent prononcé, du quidam facilement perdu ou dépassé. Ce cliché est largement véhiculé par l'effet parisianisme # Paris=France # centre du monde # centre de l'Univers # we are the best qui m'horripile au plus haut point. Le Provincial vivant à la Capitale démontre plus de volonté et de sens de l'adaptation que n'importe quel Parisien qui n'est jamais sorti du périph. Et Dieu sait qu'il y en a.

Le Provincial vit la capitale de son pays comme un choix géographique. Vivre à Paris devient alors une aventure, un acte volontaire et pas une évidence, ni une fatalité ou une obligation. Il développe une énergie particulière face à la ville et à sa découverte. Une immensité d'options de sorties et de ballade s'offrent à lui. Je me souviens de mon excitation les samedi matin au moment d'ouvrir mon guide sur Paris et de choisir où j'allais partir me promener pendant le week-end. J'avais tout à découvrir et je me sentais touriste 2 jours par semaine. Découvrir un lieu avec un regard extérieur diffère toujours de la vision des locaux. Le Provincial, lui, n'est pas blasé, il peut encore s'émouvoir et s'émoustiller d'aller à Montmartre.

Le Provincial s'étonnera parfois des lacunes géographiques de ses interlocuteurs et écoutera les plus grosses conneries sur sa région d'origine, dites par celles et ceux qui connaissent mieux la carte du métro que celle de France. Non, à Toulouse il n'y a pas de plage.

Même après toutes ces années passées ailleurs, je me sens encore une Provinciale, avec un P majuscule (comme Paris). J'ai conservé la même fascination pour les villes où il passe beaucoup de voitures le dimanche et où les maisons ne cèdent pas si vite la place aux champs de tournesols. Puissent les petits parisiens grandissant dans les années 2010 connaître un dixième de cette douceur de vie qui m'a bercée!

Provincialement vôtre,
une Auscitaine de coeur

3 commentaires:

Elisa a dit…

Salut Fanny,
Je viens de laisser un petit message sur ta page FB car sur ton profil je clique et je n´arrive pas à ouvrir l´adresse mail (bizarre)
Amitiés
Elisa

Fanny Dumond a dit…

merci elisa je t ai répondu sur FB !

Emi a dit…

Bien dit !! Je fais partie du club !